Tatoueurs : artistes ou artisans ? Part. IV
Le tatouage, une pratique ambivalente / La double casquette des tatoueurs
“Un “bon” tatouage n'est pas simplement un tatouage graphiquement gratifiant pour son exécutant, mais bien un tatouage qui rend son porteur “heureux”.
Pour mieux saisir l’ambivalence de la pratique et les scissions au sein du métier, il faut d’abord se pencher sur les différentes perceptions et appropriations des termes “artiste”, “artisan” et “création”.
Débutons par un bref historique de l’usage de ces termes :
-> au Moyen-Âge, c’est l’artisan qui domine le monde des arts et de la création manuelle.
-> Au XIVème siècle, les peintres et les sculpteurs veulent accéder aux “arts libéraux”, et quitter la catégorie des “arts mécaniques”.
-> Au XVIIème, ils y sont arrivés : les Académies Royales dominent alors les corporations et forment leurs membres.
-> Au XIXème : les deux visions de l’artiste (comme artisan et celle comme créateur d'œuvres uniques et irremplaçables) se retrouvent face à “l’artiste indépendant qui fait de l’art pour l’art”, initié par les romantiques opposés à l’institution académique.
Dès lors, une « esthétique du désintéressement et de la rupture (de la radicale nouveauté avec ce qui a précédé) s’est dressée contre une esthétique canonique, où excellence rime avec parfaite maîtrise des savoir-faire. Cette mutation signe la domination, malgré leur coexistence, d’un “régime de singularité” sur un “régime de communauté” pour considérer la chose artistique, avec, à la clé, toute une série d’oppositions entre don et apprentissage, innovation et imitation, originalité et reproduction, inspiration et labeur, génie et talent. “
Le sociologue Becker souligne, au sujet des frontières floues entre art et artisanat, l’utilisation “des antinomies habituelles suivantes : non-utilité versus fonction pratique, créativité versus reproductibilité, expressivité versus habilité” » . Ce qui signifie qu’une opposition est née entre ceux qui s’intéressent majoritairement à la maîtrise de représentations visuelles et de techniques, et ceux qui veulent innover autant d’un point de vue théorique qu’esthétique (synonyme de représentation visuelle) - ce qui implique de prendre position, et souvent d’être en rupture avec ce qui a été fait avant. On peut argumenter que l’on ne produit pas un objet utilitaire en tatouant.
Yann Black, Sans Titre, septembre 2020 (Montréal, Québec, Canada)
Photographie d’un tatouage, support humain anonyme
Cependant, les tatoueurs restent entièrement dépendants de leurs clients. De plus, le consommateur des œuvres est habituellement un public anonyme en art contemporain. Dans le cadre du tatouage contemporain, il se confond avec le concept de commanditaire correspondant justement au modèle artisanal.
Par ailleurs, les clients ne sont pas forcément les plus aptes pour juger des qualités techniques, ni des ambitions ou de la pertinence artistiques des tatouages réalisés, mais les professionnels du métier si. S’opère alors entre eux une gradation dans les qualificatifs utilisés.
Tout d’abord, une différence est faite entre le “bon” et le “mauvais” professionnel. Il s’agit là de se baser sur des critères reprenant les trois piliers mentionnés concernant l’artisanat, c’est à dire , le “savoir-être”, le “savoir-vivre” et surtout le “savoir-faire”. Le premier renvoie aux capacités à savoir accueillir dans de bonnes conditions (y compris sanitaires) et dispositions (y compris de caractère), ou encore à la serviabilité.
Plus largement, il renvoie à la qualité du service à la personne. Le second concerne les pratiques et codes sociaux propres au fonctionnement interne du monde du tatouage - sur lesquels nous ne développerons pas dans cet article. Le troisième renvoie aux critères d’exécution technique du tatouage, de la réalisation d’un dessin qualifié de “solide” à son exécution “propre et sans bavures” sur le client. Le “mauvais” professionnel est celui qui ne prendrait pas en compte un de ces trois points, ou plus.
Vient ensuite la qualification “d’artiste-tatoueur” qui, visant un meilleur niveau graphique, « adopte alors “une véritable “démarche artistique” au sens où il crée, partant d’une idée ou d’une image, un nouveau projet. Ce processus doit lui permettre de “mettre sa patte”, c'est-à-dire d’interpréter à sa manière les contours du motif. »
L’interprétation et l’originalité de celui-ci ne réside alors pas dans une logique de « rupture avec les pratiques d’imitation, à laquelle la reproduction de canevas est associée, mais à un travail d’extériorisation d’images emmagasinées ». C'est-à-dire que l’artiste se place dans une attitude créative faisant appel à ses références visuelles emmagasinées tout au long de son parcours, sans pour autant se positionner à contre pied de ce qui a pu être fait avant - ce qui est ici appelé “logique de rupture”, ni particulièrement innover en matière de représentation graphique.
« “L’artiste-tatoueur” a donc un “style interprétatif reconnaissable par lequel il exprime sa singularité en interprétant les sujets de ses commandes, grâce à ses aptitudes graphiques, des lignes, du remplissage et du contenu iconographique ».
Cependant, la créativité nécessaire pour être considéré comme un “artiste-tatoueur” n’a pas toujours le même sens suivant les individus : certains vont considérer que répondre à une commande en dupliquant et adaptant un motif pré-existant pour chaque commande est suffisant pour se considérer comme créatif.
D’autres vont estimer qu’il s’agirait plutôt de composer des projets dessinés uniques basés sur les idées du client. Enfin, certains pensent - comme moi - qu’il est nécessaire d’avoir un engagement supplémentaire.
Little Swastika, Sans Titre, date inconnue (Psyland, Tengen, Allemagne)
Dessin préparatoire et photographie des tatouages, supports humains anonymes
C’est là où intervient le fameux, que dis-je, l’incontournable “grand” artiste-tatoueur, aussi appelé “artiste singulier”. La figure du “grand” artiste-tatoueur est le fruit d’une « forme de gradation entre la créativité, généralement associée à la personnalisation des motifs, et l’expressivité, synonyme d’aptitude à extérioriser des visions intérieures et à inventer, occasionnant un glissement de la figure de l’ “artiste-tatoueur” à celle du “grand” tatoueur. »
Les “grands” artistes se distinguent des “bons” artistes par la présence d’un “don”, d’une “âme d’artiste”, d’une imagination sans pareille, de connaissances affutées et d’une grande dévotion. Il est reconnu par ses pairs en qualité d’”innovateur ou d’inventeur”, le “grand” - on l’aura compris - artiste produit alors des créations jugées visionnaires, inlassablement imitées mais jamais égalées.
Au delà de développer un style graphique, le “grand” artiste transmet nécessairement une vision, un sens plus profond, d’un message plus large qui se traduit sur la peau d’autrui comme témoin, à la fois acteur et récepteur, par un langage graphique construit et argumenté en ses propres termes, dont le vecteur est le geste du créateur.
Le statut d’artiste se décline sur des échelles temporelles qui nous dépassent. En effet, le sens que l’on attache à l’art et les activités à quoi il renvoie sont en perpétuelle évolution. Ses définitions mutent au gré des œuvres créées, au rythme de l’évolution des sociétés qui les voient naître.
Définir ce qu’est l’art reviendrait alors à poser vainement un cadre qui exclurait dès lors certaines œuvres. Le temps permet de voir avec un certain recul ceux qui, aux yeux de l’Histoire, en ont vraiment fait et ceux qui ont pu faire évoluer le terme.
De plus, désigner une œuvre comme étant “culte” ne dépend pas uniquement de ses qualités mais «des conditions sociales et culturelles de son appropriation par des publics. L’appréciation mondiale et populaire d’une création ou d’une personne publique est ainsi constitutive de sa mythification.», et cela peut être long.
Se désigner comme artiste dépend donc aussi de l’humilité dont on fait preuve envers son propre parcours, sa production, et de comment ses pairs les perçoivent, y compris à travers le temps.
Ces différences dans la mise en pratique du tatouage peuvent s’expliquer par l’éducation artistique. Évidemment, ces perceptions dépendent aussi de beaucoup de facteurs socio-culturels. Quoiqu’il en soit, dans nos sociétés, cette dernière passe par l’éducation visuelle et théorique (donc culturelle) : « La signification d’une image est grandement tributaire de l’expérience et du savoir qu’a acquis antérieurement la personne qui la regarde. »
L’éducation culturelle (en autodidacte ou par le biais d’institutions) permet d’aller au-delà des critères de représentations esthétiques dits “canoniques”, c’est à dire correspondant aux notions de “beau” communément admis et hérité de l’Antiquité.
Par exemple, la réception des œuvres conceptuelles (dans les arts contemporains) ou celle du tatouage naïf est parfois brutale, rejetant en bloc toute légitimité ou intérêt à la pratique. C’est dû au fait que ces deux courants réduisent l’acte créateur à son minimum, enfreignant l’un des critères canoniques de confection de l'œuvre.
Cela génère une incompréhension chez le spectateur “non-initié”, surtout s’il n’y a pas un accompagnement pédagogique qui lui permette de la comprendre.
« Le degré de connaissance des codes de production d’une image encrée » va donc jouer sur sa compréhension, mais aussi sur son processus de création et les « variations dont elle va faire l’objet.»
En cela, il faut voir que plus l’on comprend les différentes manières de créer une image, le pourquoi du comment de leur création, plus notre répertoire intérieur est rempli d’images variées, plus les productions en seront enrichies. Ce qui aide à la compréhension des œuvres d’une manière plus générale, parce qu’on a acquis le “code” pour les déchiffrer, voire les interpréter - mais cela fera l’objet d’un prochain article.
Toutefois, cette réception, cette compréhension du message véhiculé par l'œuvre concerne majoritairement les arts picturaux ou visuels, en tout cas matériellement perceptibles et physiques, ce à quoi la musique échappe par exemple. En effet, cette dernière dépend de l’interprétation du musicien d’une partition, ou de son improvisation, de celle du spectateur qui va la recevoir, et des émotions qui vont en découler.
Le Sacre du Printemps de Stravinsky a par exemple été reçu comme n’étant pas une œuvre, ni de l’art au départ, le public ne pouvant pas concevoir que ça en soit. Il faut encore et toujours du temps, du recul pour pouvoir déterminer ce qui fait œuvre et art.
Ce n’est pas parce que l’on n’aime pas une réalisation, ou que l’on ne la comprend pas que cela ne fait pas d’elle une œuvre. Et vice versa : ce n’est pas parce que l’on comprend une réalisation, qu’elle est accessible à la compréhension du spectateur, que cela fait d’elle une œuvre d’art qui véhicule un message.
À mes yeux, pour faire œuvre, cela va dépendre si un message est véhiculé par la réalisation, si elle retransmet la vision de son créateur et le sens qu’il lui donne. Ce message peut bien entendu être de ne rien transmettre, mais cela en reste un en soi. L'œuvre produite sera alors pertinente par rapport à ce refus de transmettre.
Martin Routa, Sans Titre, septembre 2020, (Prague, République Tchèque)
Photographie d’un tatouage, support humain anonyme
Concernant les volontés de la clientèle, il est là aussi question d’éducation aux pratiques du tatouage, aux différents courants, aux différentes démarches existantes. En effet, suivant son degré d’insertion dans le métier, leurs connaissances au sujet de ce dernier joueront pour beaucoup dans leur approche de la conception des projets et leur réalisation. Les tatoueurs sont tributaires de la fréquentation de leur shop (et de leurs réseaux sociaux).
Les clients sont divisés en deux catégories : les “clients lambdas” - en majorité, ils sont le commun des mortels, les “non-initiés”, et sont des personnes qui sont peu éduquées à la pratique. La seconde catégorie concerne les “collectionneurs de tatouages” - qui eux, vous l’aurez compris, sont les “amateurs”, donc plus fins connaisseurs.
Le pourcentage souvent élevé de “clients lambdas” peut brider la pratique et, par extension, l’évolution en tant qu’artiste du tatoueur et de sa carrière en tant que tel. Cela le pousse à avoir une conception artisanale de ces projets suivant les critères que nous avons développés plus haut, tout en maintenant, si telle est son ambition, des projets à visée plus artistique.
Concernant la pratique, pour que l’aspect sériel de certaines productions entre dans un cadre artistique - cela concerne par exemple la pratique du flash, cela dépend de l’intention que le créateur a placé dans sa démarche.
C’est à dire en quoi le fait de répéter le même dessin - nécessairement créé par le tatoueur, fait sens dans la répétition du geste et la multiplication des supports. Si tel n’est pas le cas, il s’agit alors d’une pratique considérée comme artisanale, ce qui ne signifie pas qu’elle n’a pas moins de valeur, tant que le “savoir-faire” est présent.
L’Androgynette, Sans Titre, mai 2020 (Nantes, France)
Photographie d’un tatouage produit en série, support humain anonyme
Par ailleurs, le caractère éphémère du tatouage est jugé “problématique” pour son accession aux arts, selon des « critères propres aux beaux - arts ».
Or, comme nous avons pu le mentionner, certains courants artistiques « les rejettent intentionnellement sans que leur statut soit remis en cause pour autant. Si le tatouage venait à être considéré comme un art, il serait sans doute plus judicieux de l’envisager comme une forme d’art éphémère tels que la performance, le Land Art, l’Arte Povera ou encore le graffiti qui abandonnent toute pérennité soit par absence de matérialité, soit parce que le matériau utilisé est dégradable, soit par la mise en place de situations qui les vouent à disparaître ».
Cette catégorisation est d’autant plus pertinente vu le support sur lequel exercent les tatoueurs. Si les formes d’art mentionnées par Alix Nyssen sont bien considérées comme telles, le tatouage devrait pouvoir l’être aussi, en fonction des démarches artistiques. En cela, les historiens de l’art devraient intervenir pour analyser les artistes, leurs tatouages, et se pencher autant sur leur retransmission que sur leur diverses mises en œuvre - et certains commencent à le faire.
De plus, les frontières sont très poreuses entre l’art contemporain et le tatouage depuis les années 70. Le tatouage peut-être autant l’outil que le prétexte dans l’art contemporain.
Selon Valérie Rolle, ce qui sépare les artistes plasticiens (qui utilisent le tatouage comme un nouveau moyen d’expression artistique « mis au service d’une rupture avec les conventions voire d’un dépassement des tabous (dans le cas de Wim Delvoye, le tabou de l’inaliénabilité du corps))» des artistes tatoueurs serait qu’ils ne se reconnaîtraient pas dans les enjeux de l’art contemporain car leur travail n’aurait pas de « visées conceptuelles et ne circule pas sur ce marché en particulier. ». Ce qui n’est pas faux pour une majorité des praticiens du tatouage.
Art Orienté Objet, Première peau / Epsilon, 1996 (Suisse)
Culture de cellules de peau humaine hybrides tatouées
Mais est-ce vraiment justifié ? A-t-on nécessairement besoin de circuler sur le marché de l’art ou d’avoir des visées conceptuelles pour faire partie des arts contemporains ?
N’y-a-t’il donc pas d’artistes suffisamment “conceptuels” dans le tatouage pour trouver grâce aux yeux des institutions et pouvoir prétendre faire de l’art par le tatouage ?
A-t-on nécessairement besoin du concept pour faire de l’art ? (la réponse est non, mais pour l’affirmer il faut avoir compris ce qu’est l’art conceptuel, sa pertinence dans la création)
« Qu’en est-il de ces tatoueurs, qui n’agissent pas “par le seul désir de plaire” à leurs clients mais qui, pour subvenir à leurs besoins, s’adaptent à leurs demandes tout en restant fidèles à leur univers créatif. Sont-ils pour autant de simples prestataires de services ? Et ceux qui [...] ont l’opportunité de réaliser des œuvres reflétant leurs ambitions mais qui le reste du temps tatouent “normalement” en collaboration avec leurs clients. Sont-ils des artistes à temps partiel ? »
Les démarches d’une majorité de tatoueurs sont certes moins poussées que certains artistes plasticiens très renommés, mais combien d’artistes contemporains sont moins renommés, moins conceptuels, et sont donc dans la même situation ?
Le fait de produire des œuvres aux concepts moins poussés - voire sans concept ni démarche artistique claire, affirmée et revendiquée, comme c’est le cas pour beaucoup d’artistes tout court - , ne fait pas pour autant moins d’eux des “artistes contemporains”. Leurs démarches, leurs aspirations ne sont tout simplement pas les mêmes que leurs pairs, plus réputés - et encore, ce n’est pas la réputation qui fait la qualité de l'œuvre en matière d’art contemporain, bien que cela y contribue, malheureusement.
D’autant plus que de nombreux tatoueurs se démarquent par leurs innovations dans le milieu, tant d’un point de vue graphique que conceptuel, ils ne travaillent simplement pas uniquement sur des supports considérés, par les institutions, comme “traditionnels”. Ces “grands” artistes-tatoueurs ont pu bouleverser la manière de concevoir le tatouage, voire de le réaliser, et ce de manière similaire et égale aux artistes modernes et contemporains les plus novateurs, pertinents et avant-gardistes.
Maison Métamose, Sans Titre, août 2020 (Paris, France)
Photographie d’un tatouage en machine libre (free machine), support humain anonyme
Le rôle de mécène et/ou de collaborateur que prend le tatoué dans la conception en influençant le tatoueur et sa réalisation, n’empêche pas que cela puisse être considéré comme une forme d’art.
Cette pratique avait été fondatrice pour les Arts durant la Renaissance, et les œuvres étaient considérées comme telles. Sans mécènes, nombreuses sont celles qui n’auraient pu voir le jour. Y avoir recours, même s’il s’agit d’un pilier essentiel du tatouage, ne devrait pas chambouler à ce point le monde de l’art, ni impliquer forcément une pratique artisanale.
Les riches mécènes payaient, à l’époque, pour que l'œuvre puisse laisser une trace d’eux grandiose à travers le temps, marquant à la fois leur époque et l’Histoire, parfois durablement.
De nos jours, payer à la fois pour faire grandir l’art de quelqu’un en lui permettant de s’illustrer par et pour soi, est à la fois égocentrique et poétique. L’éphémère du support, qui dure et existe au quotidien pour son porteur le temps d’une vie - en temps normal, peut tenir d’une forme de Memento Mori (rappelle toi que tu vas mourir) contemporain et nihiliste. Et, en cela, pourrait souligner le paradoxe temporel auquel nous faisons face dans nos sociétés occidentales, à l’ère hédoniste du tout éphémère, du tout consommable et jetable.
La question de la signature de l'œuvre se pose alors, car étant un « “des indicateurs les plus sûrs d’une artification réussie” car, en tant qu’opérateur sémiotique, elle accompagne l’ascension d’un producteur au rang d’artiste et d’auteur. [...] C’est cette logique d’auteur qui pousse un certain nombre de tatoueurs à signer et dater leurs dessins, leurs projets et les photographies de leurs tatouages qu’ils postent sur les réseaux sociaux. Les œuvres tatouées en tant que telles sont rarement signées, bien que, à titre d’exemple, une légende de l’histoire du tatouage comme Lyle Tuttle se content[ait jusqu’à récemment] d’encrer simplement sa signature typique. ».
La signature relève d’un signe, d’un code qui permet de symboliser la paternité d’une production. Elle est donc importante en ce qui concerne les domaines des arts pour authentifier une œuvre.
Lyle Tuttle, Sans Titre, date inconnue ( lieu inconnu)
Photographie d’un tatouage, support humain anonyme
Ce qui permet d’amener la question du devenir artisan de son art. En effet, de nombreux tatoueurs signent leurs créations sur peau uniquement par leur style graphique, souvent très reconnaissable. Ce qui pose question quant à l’exploitation, à la mise en place de cette recette et de son “authenticité”, dans tous les sens du terme.
Est-ce un travail en série, qui décline la vision de son auteur, ou bien est-ce du branding ?
Picasso a eu sa période bleue, puis s’est développé dans le cubisme, mais avec une pâte et une signature, au sens tant graphique que littéral du mot, très reconnaissables. Opalka a réalisé une série de chiffres qui a marqué l’art.
Est-ce que le travail quotidien voire répétitif fait de ces réalisations une forme d’artisanat, ou bien est-ce qu’on les considère comme artistes en ayant la vision d’ensemble de leurs réalisations, ou encore seulement parce qu’il s’agit de grands ensembles de réalisations ? Comment différencier une attitude dite de “branding” (c'est-à-dire un style graphique conçu pour être reconnu et aller avec une image de marque) d’une recherche plus poussée et pertinente d’un point de vue artistique, qui amène nécessairement à se renouveler ?
La recherche graphique d’un artiste ne consiste-t-elle pas à creuser les limites, passant par un processus répétitif et dérivatif ? En ce cas, ne deviendrait-on pas, en quelque sorte, artisan de son art ?
Conclusion : SPOILER ALERT à la fin, tout le monde meurt !
On ne peut évidemment pas faire le tour de la question comme on ferait le tour d’une gommette, ce sujet mériterait bien plus de quelques thèses pour être développé en adéquation avec l’évolution des pratiques. Mais selon ce que nous avons pu démontrer, les tatoueurs peuvent être artistes, artisans, soit l’un, soit l’autre, soit les deux à la fois.
Chacun est légitime dans sa pratique, et se poser des questions dessus - si on le souhaite - permet de faire évoluer son travail et ses perceptions. Il serait également intéressant que la profession de tatoueur soit reconnue en tant que telle, la question de savoir quid de l’artiste ou de l’artisan n’étant pas forcément pertinente au vu de l’ambivalence de la pratique.
Messages aux professionnels du tatouages, artistes, artisans, peu importe : continuez à vivre des moments forts en créant des images et vibrez, autant que vos clients !
Olivier Poinsignon, Artistant, septembre 2020 (Clermond-Ferrand, France )
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