Tatoueurs: artistes ou artisans ? Part. II

Le tatouage, une pratique artisanale / les tatoueurs sont des artisans

«Les tatoueurs demeurent les prestataires d’un “service personnel” dont les enjeux sont tout à la fois sociaux, esthétiques et commerciaux.»

 Le tatoueur doit faire preuve de “savoir-vivre”, de “savoir-être”, mais aussi et surtout de “savoir-faire”. La maîtrise de techniques manuelles spécifiques, l'ancrage commercial du métier ainsi que l’impératif de satisfaction de la clientèle sont indissociables de la pratique. Le tatouage est un luxe, il n’est pas nécessaire. La position de prestataire de service du tatoueur fait alors consensus : il réalise un service à la personne qui nécessite une certaine dextérité technique et le respect de normes, tant pour la bonne exécution du tatouage que dans la réception du projet et l’accompagnement du client. On peut donc considérer que le tatouage relève essentiellement de l’artisanat. 

La question du “savoir-faire” est un aspect primordial, et c’est celui qui nous intéresse pour la question que nous traitons. En effet, le modèle de perception des réalisations dans ce domaine - du moins par une majorité, est considéré comme “canonique” ou artisanal, c’est à dire une perception qui valorise le labeur et la perfection dans l’exécution, souvent perçus comme plus importants que les visées dites “artistiques”, que les innovations “graphiques” ou “créatives” - d’ailleurs parfois interprétées comme une forme d’égocentrisme de la part du tatoueur ayant ces vocations. 

Par ailleurs, les mouvements graphiques présents dans le métier ne dépendraient que de l’appropriation de la pratique par des groupes sociaux spécifiques et ne correspondraient pas à ceux présents en art moderne ou aux courants dans l’art contemporain. «Ces styles, dont les frontières sont parfois floues, ne peuvent toutefois être comparés à des mouvements artistiques, dont les contenus doivent à des jeux de positionnement entre des courants contemporains ou successifs. Leurs contours se sont au contraire esquissés au gré de l’appropriation de la pratique par des groupes sociaux spécifiques.» 

Le tatoueur dépend de sa clientèle pour vivre. Il est donc tributaire de ses demandes et contraint à se conformer à ses attentes et exigences. Réduisant les marges de manœuvre dans les réalisations, elles ne permettent pas au tatoueur d’être “totalement souverain”, qui ne peut donc pas être considéré comme un artiste, mais bien comme un artisan. 

Même si le poids de la tradition est moins pesant qu’auparavant, il reste très présent dans le milieu. Certaines manières de travailler - comme le travail en série du flash, et certains types de production, comme le old school par exemple, peuvent donner «l’idée d’un travail reproductif et simpliste». En effet, une attitude face à la commande consiste à y répondre sans interpréter graphiquement la demande, allant parfois jusqu’à copier un motif pré-existant - ce qui soulève la question de la propriété intellectuelle dans le tatouage mais là n’est pas notre sujet. 

Cette manière de fonctionner, très présente dans le système des flashs au siècle dernier, fait que, si les motifs ne sont pas de la main du tatoueur, il agit alors comme une imprimante, un «exécutant, au service complet de sa clientèle». Autrement dit, comme un technicien, et le client agit comme coproducteur de la prestation. Cette dernière devient donc une collaboration, une coproduction dirigée, contredisant ainsi le caractère “singulier” de la création d’une œuvre dans une vision “canonique” de sa création.

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Chris Eckert et Martin Fox, Auto-Ink, 2010 (États-Unis), Métal polychromé, micro électronique

Considérant son aspect commercial et les autres points mentionnés ci-dessus, Valérie Rolle considère que le tatouage «n’a définitivement pas migré vers une forme d’art mineur ou consacré». En effet, à part pour établir une hiérarchie entre les “bons”, les “mauvais” tatoueurs et les “créatifs”, reprendre les représentations sociales de l’artiste ne suffit pas à prouver une réelle assimilation de valeurs artistiques, ni un statut d’artiste légitime. À ses yeux, «Les tatoueurs demeurent les prestataires d’un “service personnel” dont les enjeux sont tout à la fois sociaux, esthétiques et commerciaux.». 

On peut donc légitimement se demander ce qu’il en est des autres tatoueurs, qui travaillent à l’élaboration d’un style graphique, de concepts, et d’une démarche artistique novatrice, que ce soit au sein de la pratique ou dans celui du champ des arts contemporains. 

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